Déc 03

« Dépoussiérer » les statuts, démanteler l’Ecole de la République, ou l’immuable équation libérale

Tribune parie le 3 décembre 2013 sur le site de Rue 89.

rue89

Francis DASPE est président de la Commission nationale Education du Parti de Gauche. Il est secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée et co-auteur du livre intitulé « L’école du peuple. Pour l’égalité et l’émancipation » paru aux éditions Bruno Leprince en août 2012.

La réforme des rythmes scolaires a dans un même élan accru significativement la fatigue des élèves et notablement désorienté les enseignants. Le ministre de l’Education nationale Vincent Peillon passe désormais à un stade supplémentaire dans la déstabilisation des personnels. Il vient de faire part de son intention de réformer le métier d’enseignant. Le chantier est malheureusement engagé sur de très mauvais rails : les statuts des personnels sont dans la ligne de mire gouvernementale.

Les statuts des enseignants, régis par les décrets de 1950, constituent une indispensable protection pour les personnels. Le code du travail ne s’applique pas à la fonction publique : ce qui tient lieu d’équivalent du droit du travail, ce sont les statuts. Eux seuls garantissent un exercice serein de la mission de service public des enseignants. Ils mettent à distance les intérêts locaux particuliers, les pressions consuméristes et les dérives managériales.

Ce projet décline les renoncements et les contresens de la loi Peillon d’orientation et de programmation du 8 juillet 2013. La réforme de l’évaluation des enseignants conduira à une accentuation de la dérive managériale ; la redéfinition des missions, sous couvert d’en prendre en compte la diversité, aboutira  en bout de chaîne à un appesantissement des tâches demandées aux enseignants ; le développement de la bivalence  s’accommodera fort bien de la pente menant à une vision minimaliste et utilitariste des savoirs que le socle commun de compétences consacre ; la fuite en avant vers plus d’autonomie prolongera la territorialisation de l’éducation. Dans ces orientations lancées comme des ballons d’essai, on peut y déceler la griffe des syndicats dits « constructifs » sur lesquels Vincent Peillon avait indiqué vouloir s’appuyer lors de son entrée en fonction. Ces syndicats ont en effet fait de la cogestion et de l’accompagnement leur boussole ; cette démarche se situe aux antipodes de la stratégie des syndicats de combat.

Il est vrai que les pistes ministérielles ainsi dessinées s’inscrivent pleinement dans un projet de société bien identifié. Nous le récusons. Car pour l’occasion il ne s’agit que de l’excroissance dans le champ de l’éducation de l’accord national interprofessionnel (ANI) signé en janvier 2013 avec des syndicats minoritaires. Une semblable logique de régression sociale est à l’œuvre. Toucher aux statuts, c’est ébranler l’édifice scolaire et aliéner une part de l’intérêt général. L’enjeu est de taille : faire échec à cette vieille équation des libéraux et autres solfériniens traçant un signe d’équivalence entre le soi-disant dépoussiérage des statuts et le démantèlement de l’Ecole de la République.

Les statuts représentent de véritables boucliers de l’intérêt général. Le ministre doit éviter tout excès de confiance comme ce fut le cas à propos de la question des rythmes scolaires. Sans quoi un même échec l’attend que son devancier de droite, Gilles de Robien, quand celui-ci avait voulu en février 2007 abroger les décrets de 1950. La vigoureuse réaction unitaire qui s’était engagée avait conduit au rétablissement contraint et forcé des statuts.

C’est au motif de la prise en compte de l’ensemble des missions des enseignants que le ministre ouvre ce chantier. Voilà un fort mauvais prétexte, tout comme la prétendue date de péremption des statuts. Il est injurieux de feindre de s’apercevoir que les enseignants ont depuis longtemps pris en charge le travail en équipe, le lien avec les familles, le suivi des élèves, le renouvellement des pratiques pédagogiques etc. S’il s’agissait véritablement de faire en sorte que les professeurs soient « confortés et reconnus » comme avancé en guise de justification, d’autres chemins seraient empruntés. La meilleure revalorisation possible du métier d’enseignant passe par davantage de sérénité (là aussi le refus de revenir sur les sanctions qui ont frappé les « désobéisseurs » de l’ère Sarkozy est à mettre en perspective avec l’oubli de voter l’amnistie sociale) et des ambitions pédagogiques revues à la hausse. Et une préoccupation sincère des fins de carrière de plus en plus difficiles de nombre d’enseignants exigerait la reconnaissance de la dureté de l’exercice au quotidien du métier : comme pour tous les salariés, un âge de départ à la retraite décent serait le plus grand des soulagements.

C’est que derrière le débat sur les statuts apparaît en creux une véritable alternative en terme de projet de société dont l’Ecole de la République n’est nullement exemptée.

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Oct 25

Pour des politiques municipales éducatives de rupture

Tribune parue le 25 octobre 2013 dans L’Humanité.

L'Humanité

Francis DASPE est président de la Commission nationale Education du Parti de Gauche. Il est aussi secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée.

 

Les municipalités disposent de compétences en matière d’éducation, mais rien qui puisse réellement infléchir les orientations nationales porteuses de déceptions après le quinquennat d’airain passé. Pour autant, les élections municipales peuvent être l’occasion pour le Front de Gauche d’affirmer la singularité de son discours et de ses propositions dans ce domaine.

 

L’élaboration de la partie éducation d’un programme municipal doit répondre à deux exigences préalables dont il n’est pas possible de s’exonérer. Leur non respect dénaturerait fondamentalement l’essence même de notre construction politique. Il convient de rechercher et de mettre en avant la dimension idéologique de chacune des mesures envisagées. L’éducation est une question fondamentalement idéologique. En masquer cette dimension dans la question des rythmes scolaires fut l’erreur commise par Vincent Peillon : il s’évertua méthodiquement à en évacuer publiquement les enjeux de marchandisation, de territorialisation, de précarisation et de statuts des personnels.

Il est également nécessaire de s’inscrire strictement dans le cadre des compétences qui incombent aux municipalités. Gardons présent à l’esprit le caractère national du système éducatif. Il ne s’agit pas d’accompagner de fait les processus d’autonomie et de territorialisation actuellement à l’œuvre. Même si chacun d’entre nous est persuadé qu’il ferait mieux localement que les gouvernements, de droite ou solférinien, ne font nationalement. Inutile de répéter à quel point nous sommes attachés au maintien des cadres nationaux et farouchement opposés à toutes les dérives vers la balkanisation d’une école à la carte. Il s’agit de refuser d’apporter une quelconque caution aux contre-réformes qui démantèlent les cadres nationaux.

A cet égard, les projets éducatifs territoriaux (Pedt) devront se conformer aux cadres nationaux, pas les subvertir en favorisant l’accroissement de l’autonomie et de la territorialisation. La déclinaison au champ éducatif de l’acte III de la décentralisation, amalgame de renoncements politiques et de contresens idéologiques, peut se révéler particulièrement destructrice.

 

Tout programme éducatif en vue des Municipales de 2014 doit s’assigner trois objectifs. Chacune des propositions effectuées a vocation à contribuer dans son champ d’action à la réalisation de ceux-ci. Il convient tout d’abord de favoriser davantage d’égalité. Il est ensuite nécessaire d’enclencher une dynamique irréversible de démarchandisation en faisant sortir la finance de la vie communale. Enfin, l’horizon dont nous devons nous rapprocher consiste à ouvrir la voie à toujours plus d’émancipation. C’est à travers cette grille d’analyse que chacune des mesures envisagées sera appréciée.

Quelques exemples choisis permettent d’illustrer notre ambition. La laïcité sera dès que possible promue. Elle stipule l’égalité de tous. Expulsant les marchands du temple, elle élargit les horizons de la gratuité, faisant reculer la marchandisation. Récusant les communautarismes aliénants, elle ouvre les voies de l’émancipation. La déprécarisation des personnels sera la règle intangible. Des salariés nantis de droits équivalents ne seront-ils pas égaux et émancipés ? Et à même de défendre l’intérêt général aux antipodes du marchand ? Le fonctionnement des conseils d’école constituent un outil de construction d’une école démocratique. Pour autant, cela ne doit pas favoriser l’école à la carte, l’autonomie et la gestion managériale avec la remise en cause des statuts des personnels.

 

En garantissant le respect de ces deux préalables et la réalisation de ce triptyque d’objectifs, les mesures en matière d’éducation qu’une municipalité Front de Gauche portera avec vigueur seront une illustration exemplaire des radicalités concrètes. Elles seront des remparts contre la déclinaison des politiques d’austérité et, symétriquement, les prémisses de la révolution citoyenne.

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Août 10

L’austérité toujours à l’ordre du jour du FMI !

Tribune parue le 8 août 2013 sur le site de Mediapart.

Mediapart

Francis DASPE est secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée (Association pour la gauche républicaine et sociale – Prométhée). http://agaurepspromethee.wordpress.com/

Il est aussi membre du Parti de Gauche à Perpignan.

 

 

Les mots utilisés ont-ils encore un sens ? La lecture du rapport annuel sur la France publié ce 5 août par le Fonds monétaire international (FMI) conduit à entretenir un puissant doute. Tout du moins peut-on dire que l’agencement et la transmission des mots de ce document volontiers présenté comme de référence révèlent une véritable supercherie.

Ce rapport du FMI est initialement présenté par les médias comme une remise en cause des politiques d’austérité dont le FMI a été un infatigable et zélé propagateur. Faire amende honorable en reconnaissant ses erreurs ne correspond pas au genre de la maison de cette institution de premier plan de l’ordre néolibéral. Voilà pourquoi cette nouvelle livrée de la sorte occasionne un mélange de surprise, de perplexité et de curiosité. L’urgence à voir de quoi il en retourne réellement s’impose alors. L’examen un tant soit peu approfondi conduit à une conclusion totalement opposée : l’austérité n’est nullement contestée, une forme encore plus radicale y est au contraire préconisée.

 

En effet, le FMI se contente de proposer un arrêt de l’augmentation des impôts appelé dans son jargon « pause fiscale ». Le dogme de la réduction compulsive des déficits n’est nullement battu en brèche. Il conviendra au gouvernement français d’adopter des chemins de traverse pour parvenir à un objectif globalement maintenu. Que le levier des impôts ne soit plus prioritaire, devant être manié avec prudence selon le FMI, signifie automatiquement et clairement que la réalisation de l’objectif passera par une baisse drastique des dépenses publiques. Il s’agit rien moins que d’une autre forme d’austérité aussi injuste d’un point de vue social et en terme d’impact sur la vie quotidienne. Et au final parfaitement inefficace.

Moins de dépenses publiques équivaudra à tailler à la hache dans les budgets sociaux garantissant une solidarité et une redistribution minimales. Les victimes en seront les plus fragiles de nos concitoyens déjà durement éprouvés par la crise. Bref, une sorte de double peine. Une diminution de l’investissement en découlera pareillement qui, pour peu qu’une conditionnalité sociale et écologique y soit associée, serait de nature à relancer la machine économique dans le sens de la création d’emplois et de la satisfaction des intérêts du plus grand nombre. Au lieu de cette inflexion pourtant urgente, le choix est fait d’alimenter les effets d’aubaine en faveur des entreprises, aussi dispendieux que sans effets avérés.

 

Des craintes identiques peuvent être formulées en examinant le volet pause fiscale. Posons-nous les deux questions essentielles en la matière. Comment est-il envisagé et à qui les bénéfices sont-ils destinés ? Ce moins d’impôt s’inscrit dans la logique de compétitivité considérant le travail comme un coût et pourchassant les cotisations sociales (improprement appelées à cet effet charges). Une phrase du rapport est à cet égard significative. En vue de restaurer la confiance, il est indiqué que « les entreprises seront sensibles notamment à un effort fait sur les dépenses plutôt que sur les impôts ». Ce sont donc bien les entreprises et les revenus les plus élevés qui en seront les principaux bénéficiaires.

Cette supercherie orchestrée par le FMI constitue bien un supplément d’austérité. Elle se révèle pour l’occasion « une et indivisible » par delà les détours empruntés. La finalité est claire : elle vise en fait à accentuer le gigantesque transfert de richesses que les libéraux organisent depuis plusieurs décennies. C’est ainsi que la baisse de la fiscalité redistributive et solidaire sera en partie compensée par la hausse de la fiscalité la plus injuste qui soit, celle des taxes à la consommation ne prenant pas en compte le revenu des personnes. On sait qu’en France la TVA constitue la source première du budget de l’Etat, loin devant l’impôt progressif sur le revenu. Pire, le FMI fournit les armes d’une dégradation significative du sort des salariés les plus modestes. Les salaires, jugés trop élevés, sont rendus responsables des déficits de compétitivité et de la balance commerciale ; le salaire minimum est promis à un gel temporaire au motif d’exclure les jeunes les moins qualifiés de l’emploi ; le déploiement d’une « flexisécurité » sur les bases déséquilibrées de l’accord national interprofessionnel de janvier 2013, que les syndicats majoritaires n’ont pas signé, est présenté comme la panacée. N’en jetez plus !

 

Ce rapport du FMI n’est décidément pas objectif, et encore moins une autocritique. Il est une simple manipulation n’ayant pour obsession que la poursuite d’une politique de classes décomplexée. En s’inspirant de la fameuse formule de Michel Audiard, on peut affirmer que décidément les possédants et les oligarques ne reculent devant rien. Leur absence de scrupules et de vergogne permet de les reconnaître et de les distinguer à coup sûr. Suprême ironie : la publication de ce rapport coïncide avec le lendemain de l’anniversaire de l’abolition des privilèges par la Révolution française…

 

 

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Juin 28

Le débat sur les retraites est volontairement tronqué et truffé de subterfuges

Tribune parue le 28 juin 2013 dans L’Humanité.

L'Humanité

Francis DASPE est secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée (Association pour la gauche républicaine et sociale – Prométhée).

La prétendue habileté manœuvrière en politique se mesure souvent à la capacité des gouvernants à dissimuler les véritables enjeux par un rideau de fumée. La question, explosive, des retraites s’y prête aisément.

C’est ainsi que le gouvernement après avoir commandé, ou plutôt commandité, le rapport Moreau fait semblant de retenir une option à l’exclusion de deux autres. Il fait mine d’avoir tranché en choisissant l’allongement de la durée de cotisation, pour mieux refuser toute modification de l’âge légal du départ à la retraite ou de l’âge de liquidation d’une pension à taux plein. Autrement dit, deux mesures vertueuses préservant des acquis pour mieux faire avaler la pilule d’un effort supplémentaire demandé aux citoyens. Il n’est cependant pas difficile de dénoncer le subterfuge cousu avec du fil blanc. Car allonger la durée de cotisation fait sauter de fait les digues constituées par les barrières que sont les âges de départ légal et de liquidation à taux plein des pensions.

Le passage à peut-être 44 annuités pour la durée de cotisations rend caduque le maintien de 62 ans comme âge de départ légal à la retraite : qui en effet à cet âge pourra justifier d’un tel nombre d’annuités ? L’allongement des études, la multiplication des périodes de chômage ou de non activité (surtout pour les femmes), la dégradation de l’emploi des seniors rendent la chose quasiment impossible. C’est donc un leurre. De fait, l’âge légal de départ à la retraite coïncidera avec l’âge de départ à taux plein. Ce sera donc 67 ans pour la grande majorité des Français qui voudront un niveau de pension digne. En attendant que cette barrière soit repoussée, dans une dialectique douteuse entre l’inévitable à intégrer, l’indécent à récuser et l’acceptable à négocier ?

 

Cela conduit à poser les véritables objectifs de cette nouvelle réforme des retraites. Il ne s’agit pas de faire travailler plus longtemps, mais plutôt de créer les conditions pour inciter à partir avec des pensions mêmes rabougries. Et ceci dans une logique de réduction des dépenses publiques dont le bras armé est la sinistre décote.

Officiellement, le système par répartition n’est pas remis en question. Qu’il ne soit plus attaqué frontalement représente un succès idéologique à mettre au crédit des derniers mouvements sociaux, à défaut de victoire politique. Pourtant, les libéraux n’ont pas abdiqué à instaurer un système par capitalisation. Les cotisations retraites génèrent des flux d’argent considérables échappant aux tentacules du marché en raison de la nature même du système par répartition fondé sur la solidarité. L’argent des cotisations est immédiatement reversé aux retraités dans l’année : il n’est donc pas utilisable dans l’intervalle par personne d’autres que les bénéficiaires. Ce qui ne serait pas le cas avec un système par capitalisation. Ces sommes pourraient alors être mobilisées pour la spéculation des fonds de pension (les plus naïfs ou les plus hypocrites diront pour l’investissement…). La volonté est forte d’offrir aux marchés financiers des ressources qui leur étaient jusqu’alors interdites.

 

Le changement de nature du système de retraite ne peut donc pas être avoué. Des mécaniques plus sournoises sont conviées. Une proposition du rapport Moreau rentrait dans cette catégorie. Il était suggéré que le mode de calcul des pensions devait tenir compte de la croissance et de la démographie. Un comité d’experts aurait à déterminer chaque année un coefficient d’indexation pour les salaires pris en compte qui dépende de ces deux critères.

Ce serait instaurer un pilotage annuel à l’opposé d’un droit universel. Primo, c’est un moyen de mettre la main sur le calcul annuel des pensions de retraites afin de rétablir les équilibres financiers, au gré de la conjoncture et des orientations budgétaires, à l’abri du moindre débat public. Secundo, le cheval de Troie de la doxa libérale alors introduit, chacun serait incité à trouver des solutions individuelles sanctionnant le renoncement à l’ambition collective issue du programme du conseil national de la Résistance.

Le dossier des retraites est une question politique. Le réduire à une vision technique ouvrirait la voie à tous les subterfuges régressifs.

 

 

 

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