Tribune parue le 28 juin 2013 dans L’Humanité.
Francis DASPE est secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée (Association pour la gauche républicaine et sociale – Prométhée).
La prétendue habileté manœuvrière en politique se mesure souvent à la capacité des gouvernants à dissimuler les véritables enjeux par un rideau de fumée. La question, explosive, des retraites s’y prête aisément.
C’est ainsi que le gouvernement après avoir commandé, ou plutôt commandité, le rapport Moreau fait semblant de retenir une option à l’exclusion de deux autres. Il fait mine d’avoir tranché en choisissant l’allongement de la durée de cotisation, pour mieux refuser toute modification de l’âge légal du départ à la retraite ou de l’âge de liquidation d’une pension à taux plein. Autrement dit, deux mesures vertueuses préservant des acquis pour mieux faire avaler la pilule d’un effort supplémentaire demandé aux citoyens. Il n’est cependant pas difficile de dénoncer le subterfuge cousu avec du fil blanc. Car allonger la durée de cotisation fait sauter de fait les digues constituées par les barrières que sont les âges de départ légal et de liquidation à taux plein des pensions.
Le passage à peut-être 44 annuités pour la durée de cotisations rend caduque le maintien de 62 ans comme âge de départ légal à la retraite : qui en effet à cet âge pourra justifier d’un tel nombre d’annuités ? L’allongement des études, la multiplication des périodes de chômage ou de non activité (surtout pour les femmes), la dégradation de l’emploi des seniors rendent la chose quasiment impossible. C’est donc un leurre. De fait, l’âge légal de départ à la retraite coïncidera avec l’âge de départ à taux plein. Ce sera donc 67 ans pour la grande majorité des Français qui voudront un niveau de pension digne. En attendant que cette barrière soit repoussée, dans une dialectique douteuse entre l’inévitable à intégrer, l’indécent à récuser et l’acceptable à négocier ?
Cela conduit à poser les véritables objectifs de cette nouvelle réforme des retraites. Il ne s’agit pas de faire travailler plus longtemps, mais plutôt de créer les conditions pour inciter à partir avec des pensions mêmes rabougries. Et ceci dans une logique de réduction des dépenses publiques dont le bras armé est la sinistre décote.
Officiellement, le système par répartition n’est pas remis en question. Qu’il ne soit plus attaqué frontalement représente un succès idéologique à mettre au crédit des derniers mouvements sociaux, à défaut de victoire politique. Pourtant, les libéraux n’ont pas abdiqué à instaurer un système par capitalisation. Les cotisations retraites génèrent des flux d’argent considérables échappant aux tentacules du marché en raison de la nature même du système par répartition fondé sur la solidarité. L’argent des cotisations est immédiatement reversé aux retraités dans l’année : il n’est donc pas utilisable dans l’intervalle par personne d’autres que les bénéficiaires. Ce qui ne serait pas le cas avec un système par capitalisation. Ces sommes pourraient alors être mobilisées pour la spéculation des fonds de pension (les plus naïfs ou les plus hypocrites diront pour l’investissement…). La volonté est forte d’offrir aux marchés financiers des ressources qui leur étaient jusqu’alors interdites.
Le changement de nature du système de retraite ne peut donc pas être avoué. Des mécaniques plus sournoises sont conviées. Une proposition du rapport Moreau rentrait dans cette catégorie. Il était suggéré que le mode de calcul des pensions devait tenir compte de la croissance et de la démographie. Un comité d’experts aurait à déterminer chaque année un coefficient d’indexation pour les salaires pris en compte qui dépende de ces deux critères.
Ce serait instaurer un pilotage annuel à l’opposé d’un droit universel. Primo, c’est un moyen de mettre la main sur le calcul annuel des pensions de retraites afin de rétablir les équilibres financiers, au gré de la conjoncture et des orientations budgétaires, à l’abri du moindre débat public. Secundo, le cheval de Troie de la doxa libérale alors introduit, chacun serait incité à trouver des solutions individuelles sanctionnant le renoncement à l’ambition collective issue du programme du conseil national de la Résistance.
Le dossier des retraites est une question politique. Le réduire à une vision technique ouvrirait la voie à tous les subterfuges régressifs.