Tribune parue dans L’Humanité le jeudi 8 octobre 2016
par Francis Daspe Secrétaire général de l’Agaureps-Prométhée
Le résultat du référendum en Grande-Bretagne a montré une fois de plus le rejet des peuples à l’encontre de l’Union européenne. Mais les enseignements du Brexit ont été souvent hâtifs. Les vaincus ont tenté de réécrire le match pour en invalider le verdict populaire, comme en 2005 à l’issue du référendum en France par l’intermédiaire du traité de Lisbonne. Au motif que les hérauts du Brexit Nigel Farage, de Ukip, et Boris Johnson, du Parti conservateur, ont fui leurs responsabilités, certains en ont profité pour délégitimer toute remise en cause de la construction européenne telle qu’elle est.
En réalité, la voie du Brexit anglais est introuvable. Ses partisans ont construit leur campagne en utilisant des arguments encore plus libéraux que l’UE elle-même. C’est impossible, et ce d’autant plus que les gouvernements anglais ont dès leur entrée, en 1973, tout fait pour accentuer la dérive libérale pour imposer leur vision d’une Europe marché. La pente était cependant antérieure, comme l’indiquait Pierre Mendès France devant l’Assemblée nationale à l’occasion du débat du 18 janvier 1957 relatif à la ratification du traité de Rome (texte auquel il s’était opposé) : « Le projet du marché commun, tel qu’il nous est présenté, est basé sur le libéralisme classique du XIXe siècle, selon lequel la concurrence pure et simple règle tous les problèmes. »
Dans un même temps, ils ont surfé sur les peurs liées aux flux migratoires. Avec là aussi un contresens identique. L’Europe forteresse est déjà bien une réalité pour la libre circulation des personnes. Les Anglais se rendent compte que l’UE ne les protégerait pas davantage des flux migratoires, car c’est déjà une Europe forteresse. Pas plus également car, en cas de conflits d’intérêts, l’Europe forteresse s’incline devant l’Europe marché. On le voit avec la libre utilisation de la force de travail dans une logique de dumping social et fiscal. Cette liberté de circulation spécifique ne vise bien entendu pas à rapprocher les peuples, mais bien à attiser les concurrences et les tensions pour créer les conditions d’un profit capitaliste maximal.
Le cas des travailleurs détachés l’a illustré. Les velléités d’aligner davantage les régimes des travailleurs détachés sur ceux des pays d’accueil se sont heurtées à un double obstacle. D’abord celui du maintien de l’assujettissement des travailleurs au régime de sécurité sociale du pays d’origine qui garantit l’extorsion de la plus-value par les oligarchies ; ensuite le refus des pays de l’Est auxquels il avait été conseillé au moment de leur entrée dans l’UE, en 2004 et 2007, de faire du dumping social et fiscal leur seul argument de compétitivité. Cette apparente schizophrénie entre Europe marché et Europe forteresse est en réalité une complémentarité de l’ordo-libéralisme, levier contemporain de la lutte des classes. Ce grand écart au final coordonné démontre qu’il n’existe qu’une seule critique possible de l’Union européenne : de gauche et populaire, comme ce fut le cas lors du référendum sur le TCE du 29 mai 2005.