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Sep 08

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Tirer les bons enseignements pour user des bons leviers

Tribune parue sur Mediapart lundi 8 septembre 2014.

Francis DASPE est secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée (Association pour la gauche républicaine et sociale – Prométhée). Il est aussi co-auteur livre « Hollande la République pour cible », éditions Bruno Leprince, avril 2014.

 

Le Conseil constitutionnel a censuré le 6 août une mesure contenue dans l’article 1 de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale (LFRSS) pour 2014. Ces dispositions s’inscrivaient dans le cadre du pacte de responsabilité. L’argument avancé pour justifier le caractère anticonstitutionnel de l’article incriminé est celui du principe d’’égalité : « en réservant la réduction dégressive de cotisations sociales aux seuls salariés dont la rémunération est inférieure à 1,3 le smic, alors que ces salariés continueront de jouir d’un niveau de prestations sociales inchangé, le législateur méconnait le principe d’égalité devant la loi ».

Les considérants formulés par le Conseil constitutionnel sont d’une très grande importance. Certes la mise en avant du thème de l’égalité, sans que l’on se soit donné la peine d’approfondir la réflexion, a agit à l’égal d’un contrefeu : les enjeux réels ont été occultés. Et ce d’autant plus que l’égalité excipée par les sages était quelque peu à géométrie variable  puisque les allègements de cotisations patronales ont eux été validés et qu’ils semblaient écarter toute idée d’une quelconque progressivité des cotisations sociales…

 

Nonobstant ces remarques qui pourraient à elles seules faire l’objet d’un débat à part entière, les deux principes fondamentaux de la Sécurité sociale étaient en creux opportunément rappelés : l’obligation et l’universalité. Chacun s’acquitte des cotisations, nul ne peut en être exempté. Toute personne en bonne santé ou qui pense l’être au cours des années à venir ne peut faire le choix, y compris à ses propres dépens, de se mettre hors du système de solidarité. Il n’est pas possible de risquer une solution individuelle au détriment du régime collectif. En échange, il y a universalité des prestations sociales : celles-ci s’appliquent à tous sans condition de ressources.

La viabilité et la pérennité de la protection sociale sont liées au respect de ces principes d’obligation et d’universalité. C’est à ces conditions par exemple que les riches ne peuvent pas décider de créer un système distinct et concurrent de protection sociale, en d’autres termes de procéder à sa privatisation plus ou moins partielle. La mesure d’allègement des cotisations sociales peut à échéance déstabiliser le fonctionnement et le financement de la sécurité sociale. Il s’agit bien d’une vraie fausse bonne solution. Autant de raison qui justifient le bien fondé de la décision du Conseil constitutionnel.

 

La mesure signalait en outre une succession de contresens fâcheux en ce qui concerne la politique économique du gouvernement. Elle avait été présentée comme un moyen de donner du pouvoir d’achat aux catégories les plus modestes. Cette urgence sociale ne passe pas par le levier des cotisations sociales : c’est d’abord l’affaire de l’augmentation des salaires, ensuite de la garantie des revenus de transfert dans le cadre de la protection sociale. Or pour ces derniers c’est tout le contraire qui se serait produit : l’assèchement du financement de la sécurité sociale ne peut être in fine compensé que par la diminution des prestations fournies. La multiplication au cours des dernières années des franchises, déremboursements et autres forfaits le prouve. Et ce sont les moins fortunés qui le ressentent de la manière la plus douloureuse.

Il s’agissait également, nous assurait-on, de favoriser la création d’emplois. Erreur d’appréciation une fois de plus : ce n’est pas l’objet des cotisations, mais cela passe par une politique de la demande, et non pas de l’offre comme le font malheureusement ceux qui pestent contre le prétendu coût du travail et clament aimer l’entreprise. L’ultime argument pour nous vendre la mesure consistait à affirmer que cela contribuerait à un meilleur partage des richesses, en équilibrant un pacte de responsabilité fait sur mesure pour le Medef. Encore une fois, contresens fort dommageable. L’outil pour une redistribution des richesses est l’impôt progressif. Pas les taxes ou les cotisations proportionnelles : l’augmentation de la TVA au début de l’année accroit les écarts de richesses. On ne peut dans ces conditions que déplorer l’instrumentalisation grossière faite par les gouvernements Ayrault puis Valls d’un supposé ras-le-bol fiscal » pour réduire la part des impôts progressifs pour le seul bénéfice des nantis.

 

La seule condition pour user des bons leviers en vue de mener une politique économique conforme aux idéaux d’égalité et de redistribution nécessite que l’on tire les bons enseignements de la décision du Conseil constitutionnel. Auquel cas les erreurs du gouvernement apparaissent de manière cruelle : confusions entre cotisation et impôt, contresens multiples d’orientation économique. Car en filigrane se dessine l’origine d’une des erreurs commises par les libéraux de tous les bords. Pour eux une cotisation sociale n’est qu’une charge sociale à éradiquer dans le cadre de la politique de l’offre, de la baisse du coût du travail et de la lutte contre les déficits. Ils sont dans la croyance que supprimer des charges apporte nécessairement des solutions aux problèmes. Ce n’est pas la panacée. Ces politiques s’avèrent au contraire inefficaces. C’est la preuve qu’il ne s’agit pas de charges, mais bien de cotisations, c’est-à-dire d’une part socialisé du salaire au nom de l’intérêt général. En effet, supprimer des cotisations crée davantage de problèmes. On ne peut pas utiliser le levier des cotisations à contre-emploi, comme le suggérait le gouvernement.

Par cet exemple, on a bien là un résumé éclairant des impasses dans lesquelles le gouvernement Valls s’engage résolument. C’est l’édifice même du pacte de responsabilité qui s’écroule du point de vue des valeurs de gauche. Car la cohérence interne de ce pacte voulu par le Président de la République est clairement de droite.

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