Tribune parue sur Marianne le 11 janvier 2016.
François COCQ et Francis DASPE sont président et secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée (Association pour la Gauche Républicaine et Sociale – Prométhée)
Pas de trêve des confiseurs pour François Hollande. Le 23 décembre, le Président faisait allégeance à la domination culturelle de l’extrême-droite en adoubant la déchéance de nationalité pour les binationaux issus du droit du sol. Cette manœuvre acte l’abandon définitif de la recherche de construction d’un « sens commun » humaniste et républicain pour mieux voguer dans le « bon sens » de l’air du temps. François Hollande va ainsi à la facilité en coupant par les chemins de traverse du reniement, cherchant à apparaître comme un objet de consensus par delà la gauche et la droite face au FN.
Les régionales de décembre invalident pourtant cette stratégie. Elles nous enseignent que 2017 sera le moment de la grande déflagration. Soit le FN accèdera au pouvoir, soit sa dynamique sera entretenue et il deviendra donc inarrêtable… soit son élan aura été brisé.
Les 6 à 6,8 millions de voix du FN aux régionales rendent en effet caduque l’analyse réductrice de la simple capacité de Marine le Pen à mobiliser son électorat : elle étend, développe et enracine celui-ci. Pire : la projection du résultat sur le taux de participation de la présidentielle (79,4% contre 49% aux 1ers tours) ouvre la voie à un franchissement de seuil quantitatif qui placerait le FN dans les étiages des candidats Sarkozy et Hollande en 2012. Les dernières enquêtes attestent que les abstentionnistes se prononceraient de manière globalement similaire aux votant s’ils se rendaient aux urnes. Enfin, les dynamiques de deuxième tour observées aux régionales là où les candidatures FN étaient crédibilisées par les scores de premier tour attestent que le plafond de verre du scrutin majoritaire est prêt à voler en éclat.
La droite n’est pas en état de mettre un terme à cette avancée. Elle sort défaite des régionales. La carte du vote FN, de l’Est à la Méditerranée, se superpose ainsi à celle des voix de Sarkozy en 2007. Surtout, la droite est prise idéologiquement en étau entre la droitisation du PS et son alignement sur le FN. Là où comme toute force institutionnelle la droite tire sa force de sa prétendue unité devant l’opinion, celle-ci semble inatteignable tant le désaccord idéologique et donc stratégique est vif en son sein. Une double candidature à la présidentielle y semble inévitable.
L’autre leçon des régionales, c’est que le PS semble avoir résisté. Mais ce qui lui confère son inertie n’est pas tant ce qu’il véhicule que la valeur refuge qu’il occupe toujours au sein du signifiant « gauche ». Là encore, les dynamiques de second tour après les réflexes de vote utile du premier attestent que « la gauche » en tant qu’idée et cadre reste un élément structurant de positionnement pour une large part du corps électoral. Plus que le PS, c’est donc l’idée même de gauche qui s’est imposée lors des régionales même si elle reste orpheline d’une incarnation qui lui permettrait de dépasser ce qu’elle est pour fédérer le peuple et le mettre en mouvement.
Voilà qui rebat les cartes dès lors qu’un second tour de la présidentielle entre le FN et un-e candidat-e de gauche apparait comme une perspective crédible. Or si François Hollande s’imposera au PS dans le cadre du jeu des partis, et donc d’abord du sien, quelle perspective sa candidature dessine-t-elle ? Au pire il sera la victime expiatoire du FN au 1er ou au second tour. Au mieux le faire valoir qui retardera l’échéance. En aucun cas celui qui peut briser la domination des esprits imposée par l’extrême-droite. Ses incartades de Noël sont là pour le rappeler. La division qu’il impose sur ce sujet à son propre camp aussi.
2017 ne peut donc s’apparenter à la reproduction d’une « compétition électorale » à gauche, a fortiori sous la forme d’une primaire qui en serait l’un des avatars pour occulter les enjeux réels. Elle doit au contraire être l’occasion d’une « dispute politique » salvatrice dans le cadre de la campagne présidentielle qui constituera le grand moment de cristallisation citoyenne.
La « gauche » n’a pas vocation à être corsetée mais doit au contraire être le terreau de majorités sociales. C’est elle qui peut permettre de faire résonner la verticalisation peuple-oligarchie qui vibre déjà dans l’âme du grand nombre. Cela passe à la fois par une rupture avec l’ordre établi mais aussi par le fait de se raccrocher au fil de l’universalisme républicain. Bref restaurer d’un côté dans les âmes et dans les faits la souveraineté populaire et, parce qu’en termes d’histoire et d’héritage les acquis de la gauche sont devenus ceux de la Nation toute entière, renouer d’un autre avec les grandes conquêtes du camp progressiste. C’est à ce prix que le ou la candidat-e de la gauche qui sortira du premier tour sera naturellement plus que cela et qu’il brisera les reins du Front National. François Hollande a délibérément fait le choix de ne pas être celui-là.