«

»

Fév 11

Imprimer ceci Article

Ressourcer la sécurité à ses enjeux sociaux

Tribune parue le 11 février 2014 sur Marianne.

Marianne 1

 

Francis DASPE est secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée

 

Si la sécurité est comme la République, une et indivisible, son contraire, l’insécurité, ne l’est pas. L’insécurité n’est pas qu’un dérèglement individuel, c’est aussi le symptôme de dysfonctionnements sociaux.

Peut-on parler de sécurité pour tous si règne en maîtresse l’insécurité sociale ? N’est-il pas révélateur que l’outil le plus pertinent pour mettre en application les valeurs de la République soit nommé sécurité sociale ? Sans verser dans un relativisme de mauvais aloi, la montée de la précarisation des sociétés nourrit pour partie celle de l’insécurité. Les processus de dualisation des sociétés ont eu leur répercussion dans le domaine de la sécurité : une sécurité à deux vitesses s’incarne dans les « territoires perdus de la République ». Les quartiers fermés barricadés des villes anglo-saxonnes ou « ghettos pour riches » ne sont pas loin d’avoir leur équivalent en France. L’émoi provoqué dans les cercles dirigeants via les médias quand la violence est délocalisée dans les quartiers chics des centres-villes est à cet égard riche d’enseignement.

 

Au même titre que la justice, la sécurité est une forme de violence légitime exercée au nom de l’intérêt général en vue de sa réalisation. L’article 12 de la déclaration des doits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 stipule que la force publique ainsi instituée doit l’être« pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». En creux se pose la question cruciale de savoir si la sécurité peut être d’essence « conservatrice ». C’est-à-dire, doit-elle préserver des situations acquises et des dominations sociales installées ? Ceci dans le seul but de perpétuer les inégalités d’une société injuste, pour reprendre une phraséologie bourdieusienne. Il y aurait contradiction avec la dimension révolutionnaire portée par le concept de sûreté/sécurité. Son affirmation à partir de 1789 a mis à bas les bases de l’Ancien Régime, politiques avec la monarchie absolue de droit divin, sociales avec la société d’ordres et de privilèges, économiques et fiscales avec le régime seigneurial. La sécurité est donc indissociable d’une ambition de transformation sociale : en cela elle est une exigence républicaine forte.

 

La sécurité s’inscrit dans un projet collectif d’inclusion sociale. A la loi il ne peut être substitué des contrats. Ces contrats sont forcément dérogatoires à la loi commune ; ils correspondent à des intérêts particuliers. Ils contribuent de ce fait à détricoter la loi commune pour instiller des formes insidieuses de privatisation. Quand la loi carolingienne se fut désagrégée devant la volonté d’indépendance des féodaux les plus puissants, la sécurité des plus faibles ne pouvait plus être assurée que par des contrats inégaux qui liaient pieds et poings ces nouveaux serfs au seigneur qui s’était approprié sur un territoire délimité le droit de ban en principe monopole exclusif du roi. Il en va de même aujourd’hui dans le champ des relations sociales. Quand on favorise l’inversion des normes en faisant primer le contrat négocié de gré à gré sur la loi votée au Parlement, on accroît l’insécurité sociale des plus démunis. Dès lors que la loi est vendue à la découpe par la multiplication des contrats, elle réprime davantage sans pour autant offrir la garantie collective de protection.

            Le dépassement de l’opposition factice entre prévention et sanction est également nécessaire. Elle ne tient en définitive que par les outrances caricaturales de chacun des deux camps. Les « laxistes » déguisés en tenants de la prévention sont en réalité incapables de s’élever à la hauteur des enjeux républicains. Les « croisés » de la sanction sont en réalité inaptes à atteindre les enjeux sociaux. La sécurité demande en effet des réponses systémiques.

La sécurité doit être perçue comme une affaire de solidarité nationale dans toutes ses dimensions. La dialectique entre égalité et sécurité trouve place au cœur des enjeux de la régulation des rapports sociaux. La sécurité ne peut être utilisée comme un stratagème des possédants pour légitimer de fait les inégalités sociales en prônant la résignation à l’égal d’un opium. Faute de quoi nous sombrons dans le « sécuritarisme », vision socialement conservatrice. Il ne peut y avoir de sécurité générale sur un terreau d’inégalités et d’injustices sociales. L’oubli des enjeux sociaux liés à la sécurité a des répercussions redoutables. Il conduit à divorcer d’avec l’idéal républicain de fraternité par la recherche de bouc-émissaire. Toute dimension d’altérité est stigmatisée, alors que nous devons au contraire récuser toute forme ethnicisée de la question. L’oubli des enjeux sociaux de la sécurité conduit aux raccourcis simplistes et ouvre la voie aux récupérations malsaines et irrationnelles.

Lien Permanent pour cet article : http://66.lepartidegauche.fr/?p=157