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Fév 25

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Les étranges paradoxes et les potentialités insoupçonnées des politiques éducatives municipales

Tribune parue le 25 février 2014 sur le site de Marianne.

Marianne 1

Francis Daspe est président de la Commission nationale Education du Parti de Gauche. Il est également secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée.

 

Les politiques éducatives qu’une municipalité peut mener sont frappées d’un étrange paradoxe. A première vue, il n’y a pas grand-chose qui soit en capacité d’infléchir les orientations nationales : réparer les dégâts causés à l’Ecole de la République relève de la gageure. Le rôle des municipalités dans les politiques éducatives n’est pas de se substituer aux défaillances du service public national. D’une certaine manière, c’est rassurant ; l’échelon municipal doit rester dans l’impossibilité de remettre en cause le cadre national républicain. Car la principale menace réside bien actuellement dans la territorialisation de l’éducation, quels qu’en soient les leviers utilisés : l’autonomie et la gestion managériale sous la droite, la déclinaison de l’acte III de la décentralisation sous le gouvernement socialiste. Cependant, à bien y regarder, on constate que s’offre à une municipalité désireuse de contribuer à la transformation sociale un certains nombre de leviers porteurs de radicalités concrètes. Et ceci dans le strict respect du périmètre des compétences municipales.

 

La laïcité en constitue un exemple éloquent. Elle stipule l’égalité de tous, expulse les marchands du temple, élargit les horizons de la gratuité, récuse les communautarismes aliénants, ouvre les voies de l’émancipation. L’actualité nous montre à quel point elle est trop souvent battue en brèche. Les choix en matière de restauration scolaire peuvent favoriser la relocalisation de l’activité par l’encouragement aux circuits courts. Les emplois du périscolaire doivent devenir pérennes, sous statut public, bénéficier d’une véritable formation, avec la mise hors-la-loi de la précarité. En filigrane, se dessine la création d’un service public de l’animation et de l’accueil de l’enfance au niveau d’une commune. Cette initiative locale peut ensuite impulser une extension à l’échelon national.

Une exigence d’utilisation de l’argent public à des fins d’intérêt général servira de boussole à l’action municipale, en définissant une sorte de traçabilité. Par exemple, la loi Carle ne pourra pas être appliquée : l’argent de tous ne peut pas financer l’école du choix de quelques uns. La sectorisation scolaire visera à favoriser mixité sociale et vivre-ensemble. Elle sera dans les faits un antidote aux processus de ségrégation et de clientélisme. L’application d’une adaptation du quotient familial sur les différents tarifs des activités des centres de loisirs et de la restauration scolaire, en plus de faire progresser la justice sociale au quotidien, s’inscrit dans le nécessaire combat des idées. Il s’agit d’habituer au principe que chacun cotise en fonction de ses moyens et reçoit selon ses besoins. C’est de cette manière que, pour reprendre Gramsci, se reconquiert l’hégémonie culturelle.

 

Ces quelques leviers sont de nature à initier des inflexions majeures à la société. Ils offrent, en fin de compte, la possibilité de changer l’école en profondeur par un heureux retournement : on ne peut transformer l’école sans avoir au préalable commencé à réformer la société. Voire sans changer de société. Le gouvernement se heurte en effet à cette insoluble contradiction. Impossible en effet de refonder l’école de la République si le projet de société ne récuse pas d’emblée la logique d’une société du marché, le cadre de l’austérité ou ne prend pas en compte la réalité d’une lutte des classes.

Ces paradoxes ouvrent des potentialités insoupçonnées à la grande œuvre de transformation sociale et de renforcement de l’édifice républicain. Les politiques municipales éducatives ont vocation à servir de laboratoire aux politiques de résistance. A condition de ne se pas se tromper dans l’usage qui en est fait. S’ingénier à réformer l’école sans entreprendre de transformer la société se révèle une impasse, au même titre que tenter de faire croire que les politiques nationales et les politiques locales ne s’impacteraient pas mutuellement.

 

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