Tribune parue le 7 mars 2014 sur Mediapart.
Francis DASPE est secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée (Association pour la gauche républicaine et sociale – Prométhée).
Trop souvent, une vision étriquée de la sécurité, surfant sur les peurs irrationnelles et l’électoralisme médiocre, occulte sa dimension révolutionnaire. Transcrite dans l’article 2 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 sous le terme de « sûreté », elle s’est construite contre toutes les formes d’arbitraires et d’absolutismes : la transformation des sujets en citoyens et la reconnaissance de la souveraineté populaire en constituaient les préalables. Il est donc cocasse de constater que ceux qui récupèrent la question de la sécurité soient souvent imbibés d’une culture politique contre-révolutionnaire dénigrant l’héritage de 1789 et 1793.
La sécurité est porteuse d’enjeux éminemment républicains. Le premier a trait à la nature de monopole public. Il est aujourd’hui généralement admis que la sécurité relève d’un devoir d’Etat, et qu’il s’agit d’une fonction exclusivement régalienne. Qui sait qu’aujourd’hui les emplois des entreprises privées de sécurité ne sont plus très loin d’atteindre ceux des effectifs publics de la police et de la gendarmerie ?
Le second enjeu en découle : c’est celui de la marchandisation. On pourrait très vite estimer que la sécurité relève de la responsabilité individuelle : ce serait la faire entrer par voie de conséquence dans le champ de la concurrence et de la marchandisation. Les valeurs libérales dominantes favorisent cette évolution. La floraison des entreprises privées de sécurité en témoigne. La privatisation des missions de sécurité devrait se développer à l’avenir si aucun sursaut ne survient.
Un troisième enjeu concerne l’efficacité des politiques de sécurité. La multiplication des lois montre l’inefficacité des devancières qui étaient pourtant sensées solutionner bon nombre de problèmes. Des gesticulations sarkozystes ont découlé un maquis d’une législation surabondante. Pour tenter de masquer ses échecs, Nicolas Sarkozy instaura plutôt brutalement une culture du chiffre. Elle a occulté les vrais problèmes. Les statistiques peuvent en effet être considérées comme « l’art de mentir de façon convenable »… La culture du chiffre se situe en opposition à l’essence de l’ambition républicaine et de la notion de service public, par une confusion entre efficacité et rentabilité.
Le quatrième enjeu ouvre sur la manière de faire société. Le vivre ensemble en constitue l’aboutissement logique : s’agit-il de raccommoder ou de désagréger ? C’est ainsi que les contresens et les malentendus fâcheux se sont multipliés, entre la criminalisation de la pauvreté et les stigmatisations gratuites, en passant par les incompréhensions avec les jeunes, les déséquilibres police justice ou le non respect des libertés et le contrôle des esprits. Là aussi, ce sont comme autant de manquements rédhibitoires à l’idéal républicain.
L’existence de ces enjeux républicains éloigne la sécurité d’un simple « basse besogne sécuritaire ». Pour dépasser le simple effet d’annonce, deux conditions doivent être au rendez-vous de l’ambition affichée : des moyens humains et une volonté systémique. C’est l’exact contraire des politiques menées par les gouvernements depuis 10 ans : suppression de la police de proximité, ignorance de la dimension prévention, réductions des emplois de travailleurs sociaux et de médiateurs urbains etc. L’austérité et le culte de la réduction des dépenses publiques aggravent la situation. On se rallie de la sorte à une gestion étriquée de la société. Il ne faut pourtant pas oublier que ce qui est en jeu, c’est la res publica, son renforcement ou sa désagrégation.