Tribune de Francis DASPE parue sur le site de Mediapart. Texte d’analyses suite à la votation citoyenne pour la révocation des élus.
Francis Daspe est responsable du Parti de Gauche à Perpignan. Il est aussi secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée (Association pour la Gauche Républicaine et Sociale – Prométhée) et co-auteur du livre intitulé « Hollande, la République pour cible », éditions Bruno Leprince, collection Politique à gauche, avril 2014.
Le Parti de Gauche organisait ce week-end une votation citoyenne. Il s’agissait de revendiquer pour les citoyens un droit essentiel, celui de la révocation des élus en cours de mandat. Cette disposition s’inscrit bien dans la démarche d’une 6° République. Dans les Pyrénées-Orientales dix urnes étaient mises à disposition sur les marchés ou les places publiques afin de favoriser l’expression publique de chacun.
Ces moments d’échanges avec les citoyens se sont révélés particulièrement instructifs quant à l’état d’esprit de l’opinion publique, révélateur d’un climat politique ambiant. Quelques tendances fortes ont émergé. Il ne s’agit pas cependant, pour la plupart d’entre elles, de véritables surprises, mais plutôt de mises en perspectives bienvenues.
Il existe un rejet extrêmement fort du cynisme en politique. La formule indiquant que « les promesses n’engagent que ceux qui y croient » scandalise de manière quasi unanime. Avec, revers de la médaille, parfois quelques généralisations hâtives qui assimilent toutes les formes d’engagements militants dans une même suspicion. C’est que le discrédit de la parole publique est fort. La faute aux promesses non tenues : le candidat Sarkozy en 2007 ne devait pas toucher aux retraites, le candidat Hollande en 2012 devait lutter contre la finance… On sait ce qu’il en est advenu ! Au-delà de la demande éthique qui s’exprime en filigrane, il y a la nette conscience que sans le respect de la parole publique il n’est de démocratie possible. C’est le règne de la surenchère démagogique et du mensonge érigé en stratégie qui s’impose alors de fait. Autrement dit une version transposée au champ politique de la loi de la jungle qui est avant tout celle de la loi du marché. Loi du marché et démocratie ne font pas bon… marché !
Les citoyens dans leur très grande majorité estiment de bon sens et nécessaire la possibilité de révoquer les élus qui ne tiennent pas leurs promesses. Ils savent également que cela n’est pas possible dans le cadre des institutions actuelles. Il s’en dégage un sentiment d’impuissance qui confine à une résignation de mauvais aloi : le mensonge en politique peut être perçu comme une fatalité. Car ils pronostiquent que l’obtention de ce droit ne peut pas se réaliser, qu’elle relève de l’utopie. « C’est irréaliste, impossible ou pas raisonnable d’y croire ! », disent-ils bien souvent. On observe ainsi de nombreuses formes d’autocensure citoyenne démocratique. Il y a là l’obstacle le plus puissant à l’expression de la souveraineté populaire. Pensent-ils que la souveraineté populaire et tous les droits qui en découlent ont été concédés au peuple de bonne grâce par les puissants et jamais arrachés ?
C’est toute une culture de la révolution citoyenne qui est à reconstruire urgemment. Le peuple doit en effet se ressaisir de sa souveraineté. Il faudra pour cela créer les conditions politiques, sociales et culturelles pour le décomplexer pleinement. Le peuple ne peut pas être simplement acteur lors des élections et devenir le reste du temps spectateur passif de sa trahison décomplexée et assumée par ceux à qui le pouvoir a été confié. Il doit être un acteur permanent. Le contrôle de l’action des élus en constitue le « minimum syndical ».
Preuve du sérieux de l’initiative citoyenne, des remarques pertinentes ont pointé les risques pouvant peser sur la stabilité des institutions et l’affaiblissement du politique qui en résulterait mécaniquement. Des garde-fous existent pour y parer.
La révocation ne peut s’envisager qu’à partir de la mi-mandat : cela laisse des délais raisonnables aux nouveaux élus pour enclencher les politiques promises. La procédure de révocation ne sera pas une simple impulsion relevant davantage du registre de l’émotion ou de la versatilité que de la raison : un seuil de 5 à 10 % des citoyens sera requis pour lancer le processus, un nombre de suffrages supérieur à celui enregistré par l’élu concerné lors de son élection sera exigé. L’existence de ce contrôle citoyen, qu’il serait même exagéré de comparer à une épée de Damoclès, contribuera à faire concorder paroles et actions en politique : les motifs de révocation diminueront en proportion. La révocation des élus ne conduit nullement au mandat impératif qui transforme l’élu en vulgaire jouet de volontés masquées : le mandat reste celui que le candidat a proposé et que les citoyens ont validé par leurs votes. Aujourd’hui, le mandat impératif est plutôt celui qu’impose l’exécutif bicéphale Hollande/Valls aux « députés godillots », ou qu’avant l’hyper-président Sarkozy assénait.
In fine, la revalorisation de la parole publique bénéficiera à l’ensemble des élus. Ou du moins à ceux qui feront le nécessaire pour en bénéficier : tenir leurs promesses, faire des promesses qui peuvent se tenir. Ce qui n’exclura pas pour autant l’audace : seule la confiance des citoyens permet de changer la société en profondeur. C’est ainsi que je répondais de manière imparable à celles et ceux qui se résignaient à ce que les choses ne puissent jamais changer : pouvait-on imaginer il y a plus de 80 ans qu’un jour les Français seraient payés sans rien faire si ce n’est (circonstances aggravantes) à jouir de loisirs ? Ce furent les congés payés du Front populaire que beaucoup croyaient impensables, et pas seulement les prédécesseurs du sinistre « travailler plus pour gagner plus »…
La crise de régime est telle que la 6° République n’est pas une option parmi d’autres : elle devient une nécessité. C’est à la fois un préalable et une finalité. Certes, il ne s’agit pas du seul préalable, ni de la seule finalité, le projet étant global. Mais donner de l’oxygène à la démocratie ne pourra se réaliser sans cette manière de renverser la table. Le peuple doit dépasser collectivement ses propres complexes et inhibitions. Nous avons remarqué un fait rassurant dans le contexte local de Perpignan : beaucoup de jeunes femmes issues de l’immigration sont venues participer à la votation. Et elles ne furent pas les moins passionnées à débattre avec nous de manière argumentée, montrant leur soif d’implication dans la gestion des affaires de la cité. Ce sont là les promesses d’un peuple émancipé et souverain dont notre pays a besoin. Et que la votation citoyenne a contribué à sa mesure, modeste mais concrète, à dynamiser.