Tribune parue le 04 octobre 2014 sur le site de Marianne
FRANCIS DASPE*
* Francis Daspe est président de la Commission nationale Education du Parti de gauche. Il est également co-auteur du livre L’Ecole du peuple. Pour l’égalité et l’émancipation, Ed. Bruno Leprince, août 2012.
Pour Francis Daspe, la volonté affichée de Najat Vallaud-Belkacem de limiter le redoublement à « des cas exceptionnels » est un joli « contrefeux » : ce serait même, explique le président de la Commission Education du Parti de gauche, « l’arbre qui cache le désert de la politique éducative du gouvernement ». D’autant que, selon lui, « la vraie raison de la réduction drastique du redoublement vise à réaliser des économies budgétaires pareillement drastiques ».
La ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a dévoilé son intention de limiter la pratique du redoublement à « des cas exceptionnels ». Cette annonce fera certainement sourire bon nombre d’enseignants, du primaire comme du secondaire, qui savent à quel point le redoublement est déjà devenu dans leur quotidien une pratique peu usitée.
La raison avancée, l’inefficacité supposée du redoublement d’un point de vue pédagogique, n’est en réalité qu’un prétexte commode. Il s’agit d’un écran de fumée destiné à voiler les véritables motivations. Le redoublement est l’arbre qui cache le désert de la politique éducative du gouvernement après les déceptions de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013 et les impasses de la réforme des rythmes scolaires. Déceptions qui ne doivent concerner que celles et ceux qui ont voulu croire à la promesse de la priorité donnée à l’éducation…
Un désert en matière de moyens d’abord : la vraie raison de la réduction drastique du redoublement vise à réaliser des économies budgétaires pareillement drastiques. Un désert en matière de volonté pédagogique ensuite : la détermination à s’atteler à la réduction de l’échec scolaire n’est pas sans failles gigantesques. Les incantations à l’intensification de l’accompagnement personnalisé ne sont réellement pas à la hauteur des enjeux. Qui plus est, elles sont démenties par les faits du terrain.
Les propositions ministérielles sonnent en définitive comme un renoncement à prendre à bras-le-corps la question de la réussite scolaire. Elles doivent être mises en perspective avec la confirmation du socle commun de compétences, vision minimaliste, utilitariste et segmentée des savoirs. Et ceci, faut-il préciser, dans le prolongement de la précédente loi d’orientation Fillon de 2005. Or, il faudrait faire précisément l’inverse. Procéder à un recentrage sur les contenus disciplinaires sans entretenir de confusion préjudiciable avec la vision restrictive du retour aux fondamentaux résumée par la formule « lire, écrire, compter » à laquelle pour faire bonne mesure on rajoute cliquer. Ne pas les diluer en assimilant hâtivement transdisciplinarité à interdisciplinarité. Cette manière d’appréhender les savoirs à travers le prisme du socle commun et de l’enseignement par compétences n’est pas anodine. Elle préempte de manière inquiétante des questions liées aux conditions de recrutement des enseignants, à leur formation, à celle des statuts des personnels. Autant de sujets qui ont fait l’objet de l’attention des différents ministres au cours des dernières années, voire même des dernières décennies. Car il existe une continuité édifiante au-delà des clivages entre la droite et la gauche. A cet égard, le passage rue de Grenelle de Claude Allègre fut emblématique.
La sortie sur les redoublements de la ministre Vallaud-Belkacem représente bien un contrefeu. Les solfériniens sont experts dans l’utilisation de contrefeux visant à obscurcir la réalité. Celui du numérique sensé moderniser et révolutionner l’enseignement en est un particulièrement prisé ces derniers temps. Celui des rythmes scolaires en fut un également, même si la grenade ainsi dégoupillée a désormais explosé dans les mains du gouvernement. Les arguments d’autorité invoquant la recherche du bien-être de l’enfant et de la réussite de l’élève se sont enfin effacés devant les enjeux idéologiques en matière d’égalité, de gratuité ou de laïcité. Concernant le redoublement, seule une pratique équilibrée et raisonnée doit être promue. Concrètement, cela signifie repousser à égale distance les dérives symétriques dont les exagérations se renforcent mutuellement. D’abord les crispations rigoristes voulant faire du redoublement l’outil d’une compétition et d’une sélection outrancières dès le plus jeune âge. Ensuite les solutions de facilité aux airs de renoncement en instituant, pour reprendre l’inimitable novlangue administrativo-pédagogique, la « promotion automatique d’une cohorte ».
Car en fin de compte, la question du redoublement peut contribuer à faire émerger un des enjeux essentiels des débats relatifs à l’Ecole : celui de la nécessaire articulation entre massification et démocratisation. Y parvenir sera le défi que relèvera l’école de la VIe République. L’Ecole de la VIe République maintiendra l’exigence des savoirs, loin des tentations de réussite factice. L’Ecole de la VIe République visera à promouvoir l’émancipation en formant indistinctement les futurs citoyens, hommes et travailleurs, sans en négliger un des aspects ou en assujettir à un seul les autres. L’Ecole de la VIe République combattra pour l’égalité, sans se réfugier derrière les déterminismes sociaux et territoriaux pour justifier les renoncements. Ce qui importe pour la réussite d’une politique éducative globale, c’est la cohérence du projet de société. Si l’école peut beaucoup, elle ne peut cependant pas tout. Elle n’est pas son propre recours, en dépit du dévouement et de la ténacité des personnels par qui tient tant bien que mal le papier peint de l’institution. La tâche doit être engagée avec détermination, loin des contrefeux dilatoires qui tentent d’occulter l’indétermination des projets de société de nos gouvernants…