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Juil 28

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La mort de Robespierre ou l’élan de l’égalité brisé

Tribune parue le 28 juillet 2014 sur Marianne.

Marianne 1

Francis Daspe est secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée (Association pour la gauche républicaine et sociale – Prométhée). Il est également co-auteur du livre intitulé « Hollande, la République pour cible », éditions Bruno Leprince, collection Politique à gauche, avril 2014.

 

 

Il y a 220 ans, les 27 et 28 juillet 1794, la Convention renversait Robespierre.  Le 10 Thermidor de l’An II, lui et ses amis étaient guillotinés. La signification de cet événement est considérable. Elle a été pourtant sujette à manipulations.

L’exécution des robespierristes marque d’abord la fin de la révolution. Certes des débats autant idéologiques qu’historiographiques existent quant au terme de la révolution française. Certains le fixent en 1799, au coup d’état de Brumaire qui marque la fin de la République et l’arrivée au pouvoir du consul Napoléon Bonaparte. D’autres retiennent 1815 et l’abdication définitive de l’empereur Napoléon I° qui permet le retour de la monarchie des frères de Louis XVI. Dans le sens d’une rupture dans la recherche de plus l’égalité, la mort de Robespierre marque bien la fin de l’idéal révolutionnaire.

 

Elle consacre en fin de compte le triomphe de la deuxième phrase de la l’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Celle-ci est trop souvent oubliée, pour ne retenir que la première phrase, nécessaire et consensuelle (les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits). Si celle-ci proclame l’égalité civile (et donc la fin de la société d’ordres et de privilèges de l’Ancien Régime), la seconde se refuse à faire de l’égalité sociale l’horizon commun de la nouvelle société. En effet, les « distinctions sociales » y sont consacrées, même si elles sont contrebalancées par « l’utilité commune » En affirmant ainsi que « les distinctions sociales ne pourront être fondées que sur l’utilité commune », la voie vers une société de classes était ouverte, avec toutes ses injustices contre lesquelles le mouvement ouvrier et socialiste se bat depuis deux siècles. Car la notion d’utilité commune est ce qu’il y a de plus délicat à manier, se prêtant aisément à toutes les formes d’instrumentalisation. Dire que les nobles et les courtisans oisifs avaient une utilité commune toute relative est évident ; en profiter pour établir des hiérarchies parmi les futurs travailleurs beaucoup moins.

 

La réaction thermidorienne qui allait s’enclencher après l’exécution de Robespierre le montre nettement. Le rétablissement du suffrage censitaire en constitue un premier exemple. Le discours de Boissy d’Anglas pour le justifier est à cet égard édifiant. Trois extraits de son discours en témoignent. « L’égalité civile, voilà tout ce que l’homme raisonnable peut exiger. L’égalité absolue est une chimère ». « Nous devons être gouvernés par les meilleurs, les meilleurs sont les plus instruits et les plus intéressés au maintien des lois ». « Un pays gouverné par les propriétaires est dans l’ordre social, celui où les non-propriétaires gouvernent est dans l’état de nature ».

Les éléments de la réaction se sont également étendus au champ économique. La loi sur le maximum des denrées fut abolie dès la fin de l’année pour revenir à la liberté économique caractérisant une véritable société de classes. Ce fut d’ailleurs l’ultime insulte qu’entendit l’Incorruptible au pied de l’échafaud : « Foutre, le maximum ! ».

Il en est allé de même pour d’autres domaines, qu’ils soient physiques ou symboliques. Car c’est dans cette articulation que réside la sinistre alchimie des contre-révolutionnaires. Les velléités de République sociale que portaient les Montagnards furent en effet liquidées. Physiquement avec les derniers députés qui siégeaient sur la crête de la Convention (ils étaient nommés pour cela les Crétois). Ils avaient soutenu lors des ultimes insurrections des sans-culottes parisiens de germinal et de prairial (1° avril et 20 mai 1795) les revendications populaires résumées par le mot d’ordre « du pain et la constitution de 1793 ». Symboliquement ensuite : le mot révolutionnaire fut proscrit par le décret du 12 juin 1795, la destruction des bâtiments des Jacobins de la rue Saint-Honoré fut ordonnée par celui du 24 juin.

 

L’analyse de cet événement historique possède une actualité ; elle ouvre également des perspectives. Le combat pour l’égalité reste toujours une urgence au moment où tous les rapports notent l’accroissement des inégalités sociales et territoriales. Pour cela, les thermidoriens d’aujourd’hui, c’est-à-dire les réactionnaires et les oligarques de tout poil, sont à l’œuvre. Ils ont, pour parvenir à leur dessein, mobilisé la notion d’équité. Elle leur sert de caution commode. Ils l’utilisent pour masquer le caractère intrinsèquement sombre de leurs visées, en agitant le concept vague d’égalitarisme. Le triomphe de l’équité sonne en réalité comme le renoncement à l’égalité. En cas d’obstacle, les nouveaux réactionnaires n’hésitent pas à utiliser différentes formes de violence, sociale et symbolique principalement. Celles-ci s’inscrivent dans le prolongement de la terreur blanche des contrerévolutionnaires. L’héritage de Robespierre et de la République montagnarde nous incite plus que jamais à entretenir le flambeau de l’égalité.

 

 

 

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