Tribune parue le 23 mai 2014 sur le site de Marianne.
Francis DASPE est Secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée (Association pour la gauche républicaine et sociale – Prométhée)
Les révolutions sont des phénomènes éruptifs pour lesquels il est aisé de discerner un déclenchement. On ne peut par contre pas en dire autant des contre-révolutions : il s’agit bien souvent de processus à la fois plus insidieux et éminemment complexes. Les actes de ruptures y sont plus difficiles à identifier.
La mise en perspective de la situation actuelle caractérisant les orientations de l’Union européenne et des racines de la Révolution française est à cet égard édifiante. Deux revendications furent aux origines des événements de 1789 : le libre consentement à l’impôt, la libre disposition des fruits de celui-ci. Ces fondements de la démocratie sont aujourd’hui fortement remis en cause par l’Union européenne.
En quoi consiste le libre consentement à l’impôt ? Il s’agit déterminer en toute souveraineté qui paye l’impôt, quel impôt est payé, à quel taux il est payé. En quoi consiste la libre disposition de l’impôt ? C’est de délibérer à quoi serviront les recettes fiscales, en somme d’édifier un budget en fonction des priorités politiques retenues.
Ces droits élémentaires sont méthodiquement remis en cause par l’Union européenne. La Commission de Bruxelles possède désormais un droit de regard sur les budgets des Etats membres ainsi que sur le débat parlementaire qui précède le vote. Ses recommandations s’inscrivent dans une finalité claire : réduire les dépenses publiques conformément au dogme de l’austérité. Il y a donc mise sous tutelle par une instance supranationale non élue de la souveraineté budgétaire des Etats. En outre, certaines dépenses sont impitoyablement et systématiquement traquées : les dépenses sociales, les dépenses d’investissement, les dépenses en faveur des services publics. Des impôts n’ont pas bonne presse : ceux qui sont progressifs, ceux qui ont une fonction redistributive, ceux qui visent un meilleur partage des richesses et une plus grande solidarité, ceux qui touchent les revenus du capital. A l’opposé d’autres sont outrageusement recherchés : les impôts proportionnels (on n’ose pas encore les forfaitaires), les impôts indirects, les impôts sur la consommation, la TVA étant l’exemple parfait. On assiste de ce fait à un gigantesque transfert de richesses en faveur des plus nantis et au détriment des plus modestes, à l’image du système fiscal d’Ancien Régime.
Les autorités européennes intiment l’ordre aux gouvernements nationaux de ne plus décider du type d’impôt, des personnes assujetties et du taux. Cette tutelle est aggravée par la constitutionnalisation ad vitam aeternam d’une politique économique reposant sur la concurrence libre et non faussée et l’austérité. A ces deux piliers s’ajoute le dogme monétariste de l’euro fort, indépendant, à défaut de l’être des marchés, du pouvoir politique. La monnaie, fonction régalienne par essence, a été exfiltrée du champ d’intervention de la souveraineté populaire. Quel que puisse être à l’avenir le sens des votes des citoyens, aucune inflexion des politiques économiques n’est possible : c’est le TINA (il n’y a pas d’alternative) thatchérien qui l’emporte.
Le processus à l’œuvre à l’échelon européen est bien de nature contre-révolutionnaire. Tout ce qui a été conquis est programmé pour se volatiliser. Les propos tenus par Pierre Mendès-France devant l’Assemblée nationale à l’occasion du débat du 18 janvier 1957 relatif à la ratification du traité de Rome prennent une résonance particulière :
« L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit elle recourt à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit à la délégation de ses pouvoirs à une autorité extérieure laquelle au nom de la technique exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement une politique, au sens le plus large du mot, nationale et internationale ».
Ils situent clairement un des enjeux des élections européennes du 25 mai prochain : mettre fin au déficit démocratique par la reconquête de la souveraineté populaire et la nécessité d’une nouvelle révolution citoyenne.