Tribune parue le 6 décembre 2013 dans L’Humanité.
Francis DASPE est Secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée (Association pour la gauche républicaine et sociale – Prométhée).
La campagne en faveur du travail du dimanche relève sans aucun doute possible d’une offensive de grande ampleur concertée. Les promoteurs de l’ouverture dominicale des magasins ont en fin de compte recyclé les arguments traditionnels des libéraux : la liberté et l’intérêt général. Arguments dont la conception avancée se révèle particulièrement spécieuse et contestable : chacun en possède visiblement une vision particulière.
La question serait à les entendre d’une simplicité désarmante. Quoi de plus logique que de laisser de braves salariés travailler selon leur souhait et leur intérêt le dimanche pour que d’ingénus clients puissent consommer tranquillement un dimanche, ce qui assurerait en bout de chaîne des profits bienvenus à de presque généreuses entreprises ? Vieille antienne du libéralisme, la somme des intérêts particuliers ainsi satisfaits équivaudrait mécaniquement à l’intérêt général. Il s’agit d’une grossière instrumentalisation dans le prolongement du travail de sape insidieux entrepris depuis quelques mois par les « pigeons ». Il convient au contraire de se demander de quoi le travail du dimanche est-il le nom, en le réinscrivant dans la période longue du combat séculaire porté par le mouvement ouvrier.
Derrière cette revendication, se cache la volonté sourde de revenir au temps instauré par la loi le Chapelier de 1791. Cette loi n’est pas ce que la Révolution française a produit de meilleur. Au motif d’instaurer pleinement la liberté du travail en remplacement du système devenu étouffant des corporations d’Ancien Régime, le droit de coalition fut interdit. Cela signifiait faire de la relation de travail une affaire strictement individuelle entre un employeur et un salarié, de gré à gré pourrions-nous dire. Dans cette configuration, celui qui se trouve en position de force dans la presque totalité des cas, c’est l’employeur. Il peut ainsi dicter ses conditions au salarié. A moins d’être une vedette planétaire en capacité d’exiger avec succès des émoluments colossaux comme dans le sport…
C’est à ce triste sort que furent livrés les ouvriers de la révolution industrielle tout au long du XIX° siècle. L’essentiel du combat ouvrier et socialiste se résuma dans notre pays à un démantèlement continu de la loi Le Chapelier. Il passait par la réintroduction d’une dimension collective à la relation du travail. Ce fut d’abord le droit de grève en 1864, puis la liberté syndicale en 1884, et enfin les conventions collectives en 1936. Ces quelques jalons contribuèrent à opposer au patronat un droit du travail, élément central du pacte républicain et social sur lequel la France s’est appuyée.
Les supposées rigidités que le Medef dénonce abondamment tout au long de ses discours, ce sont ces cadres d’un code du travail édifié sur les ruines fumantes de la loi Le Chapelier. L’interdiction du travail du dimanche constitue une digue. La faire sauter aurait des conséquences dramatiques pour les salariés. Comment en effet ne pas imaginer à brève échéance la question, prétendument anodine et subsidiaire, qui serait posée à la fin des entretiens d’embauche ? « Seriez-vous prêt, sur la base du volontariat bien évidemment, à accepter de travailler éventuellement quelques dimanches dans l’année ? ». Même avec toutes les précautions d’usage, nul doute que la réponse s’avérera très rapidement un critère déterminant du choix final de l’employeur. Point de liberté dans tout cela, mais une insidieuse et impérieuse contrainte.
Les hostilités engagées par les libéraux en vue de l’extension du travail le dimanche doivent être comprises comme une étape parmi d’autres pour redonner une dimension individuelle à la relation de travail. Ils disposent à cet effet d’un relai redoutable : le projet d’une « République contractuelle » fondée sur l’inversion des normes. L’objectif est de faire primer le contrat sur la loi, la négociation d’entreprise sur la convention collective. La signature de l’accord national interprofessionnel signé le 11 janvier 2013 par des syndicats minoritaires engage fortement dans le sens de cette dérive. Il y a bien un risque de retour vers l’enfer de la loi Le Chapelier. C’est de cela qu’en réalité le travail du dimanche est le nom.