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Fév 05

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L’école de la confiance de Blanquer se défie de l’esprit critique

Francis DASPE est président de la Commission nationale éducation du Parti de Gauche et co-auteur du livre « Manifeste pour l’école de la 6° République » (éditions du Croquant, 2016).

Politis

La réforme du lycée se traduira par des cours d’Enseignement moral et civique (EMC) en classe complète en Seconde et en Première dès la prochaine rentrée de septembre 2019. Jusqu’alors, ces cours se déroulaient en demi-groupes afin de favoriser les échanges et les interventions du plus grand nombre des élèves. L’horaire d’EMC est désormais globalisé, sans la mention de groupes à effectifs réduits. C’est la fin des dédoublements tant appréciés par les enseignants et les élèves.

 

Il s’agit d’abord d’une mesure d’ordre purement comptable, aux seules fins de la réalisation d’économies budgétaires compulsives et de l’application désincarnée du dogme de l’austérité. Une telle disposition va également à l’encontre de l’esprit même de cette matière fondée sur la réflexion et le débat. Qu’en sera-t-il de l’apprentissage de l’esprit critique qui se forge notamment dans ces cours d’éducation civique ? C’est une sérieuse entaille au processus de formation du citoyen. Le ministre Blanquer dévoile de la sorte une bien curieuse conception de l’école de la confiance qu’il se fait pourtant fort de vouloir promouvoir tel un totem.

 

Nous sommes confortés dans l’idée que c’est bien le projet de société qui détermine la réalité des grandes lignes d’un projet pour l’école. Au-delà du cas presque anecdotique du sort réservé à l’enseignement de l’éducation civique, c’est le fait que cette disposition entre en résonnance avec la dérive autoritaire actuellement à l’œuvre au sein de cette majorité qui doit être mis en exergue. Les derniers débats parlementaires et la gestion des contestations le démontrent incontestablement.

En classe complète, avec de surcroît la généralisation d’effectifs surchargés, la nature des cours d’EMC va changer de manière significative. L’implication du plus grand nombre sera rendue mécaniquement plus difficile ; la construction patiente d’une position fondée sur la raison beaucoup plus aléatoire. L’argument d’autorité s’imposera à la recherche de l’argument et au maniement de l’argumentation, aux antipodes de la promesse de l’école de la République fidèle à ses missions fondatrices.

Peut-être le ministre Blanquer versera dans la facilité en reportant la responsabilité de la mesure sur les établissements. Au nom d’une autonomie accrue, il laissera in fine la décision ultime aux proviseurs des lycées dans le cadre de la répartition de la dotation horaire globale (DHG) allouée à chaque établissement. Ils devront alors gérer la pénurie, en mettant en concurrence les disciplines et les enseignants entre eux. Ce qui serait éventuellement redonné à l’EMC sera forcément enlevé à d’autres. Ce mode de fonctionnement managérial transféré aux chefs d’établissement suscite de plus en plus de rejet des supposés bénéficiaires, à l’exception d’une minorité de proviseurs fascinés par les mirages du chef d’entreprise biberonné au new management public.

 

L’école de la confiance de Blanquer s’éloigne irrémédiablement de l’école de l’émancipation qui constitue notre horizon. Le ministre doit revenir au plus vite sur cette mesure injustifiée et injustifiable. L’enseignement moral et civique, s’il veut viser à l’efficacité, doit se faire en classe à effectifs réduits. En reconnaissant à nouveau cette évidence correspondant à la réalité vécue par les élèves comme par les enseignants, le ministre Blanquer doit en conséquence réaffecter aux établissements les moyens nécessaires qui se sont volatilisés par ce tour de passe-passe de prestidigitateur.

L’école de la confiance alléguée se trouve très loin de l’objectif assigné à l’école que Condorcet voulait instituer : « former des citoyens qui s’en laissent pas conter mais qui entendent qu’on leur rende des comptes ». N’est-on cependant pas en droit de douter que cela constitue réellement l’objectif recherché par la majorité macronienne ? Ce qui pourrait expliquer que le ministre Blanquer est bien l’élève zélé de la Macronie et de la réalisation de son projet de société dévoilé depuis longtemps dans toute sa morgue, et qui conditionne si fort sa politique éducative…

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